
Notre tâche en tant qu'architectes est de réveiller la fonction archaïque de l'architecture : organiser la réalité pour préserver les vivants, y compris les non-humains, des malheurs du temps.
Nous nous trouvons en effet dans cette situation paradoxale où « l'architecture en tant que bâtiment » est aujourd’hui le principal moteur de l'écocide généralisé en cours, là où « l'architecture par delà les bâtiments » est un des rares outils organisationnels dont nous disposions pour sortir de ce pétrin...
C'est pourquoi il est urgent de transformer massivement les écoles d'architecture en termes vitruviens, c'est-à-dire en outils de transformation de l'économie générale de notre réalité. L'architecture a depuis longtemps démontré sa capacité à être un puissant outil d'organisation, capable de proposer des mises en ordres alternatives de la réalité : en participant à la réforme des moyens de production, en proposant des modes alternatifs de redistribution des richesses, en mettant en œuvre la transition de sociétés à très forte consommation d'énergie vers des sociétés à faible consommation d'énergie...
Pour remettre l'architecture sur pied, il faut lui donner une définition opérationnelle. Notre proposition est simple : l'architecture est le savoir des systèmes, c'est l'art de l'organisation. Il n'y a rien de nouveau dans cette définition, que Vitruve avait déjà codifiée dans son « De architectura ». C'est ce sens qui lui a permis d'aborder des objets aussi divers que l'organisation d'un bâtiment, la description systémique de l'univers ou la construction de machines. Il nous faut retrouver le chemin d'une telle compréhension de l'architecture.
Ce changement de paradigme architectural s'est trop longtemps fait attendre. Nous devons reconnaître collectivement l'écart significatif entre ce que nous entendons par architecture aujourd'hui et le rôle que l'architecture a joué dans les affaires humaines depuis Vitruve jusqu'au « mouvement moderne ». Cette prise de conscience est nécessaire pour que les écoles d'architecture et les architectes cessent de faire partie du problème et reprennent la main sur les questions de notre réalité collective, par delà la production de bâti.

Palladio
Andrea Palladio, Étude de formation militaire (Oxford, Worcester College Library, n.c. 6, verso)
« Les diagrammes ci-dessous cependant ne se réfèrent pas au texte de Polybe ni à celui de Elien mais sont probablement des “projets” de Palladio lui-même sur la disposition des troupes. [...] J’ai utilisé le terme de “projets” de disposition des troupes car dans l’esprit du jeune architecte les formes des bataillons se superposent à des schémas de bâtiments. Les soldats deviennent des briques et vice versa »
Guido Beltramini, Andrea Palladio et l'architecture de la bataille, Fondazione Cariverona, 2009

Fortuna
La déesse Fortuna (1541), Hans Sebald Beham
La Fortune dans le polythéisme gréco-romain était "une divinité qui présidait aux hasards de la vie". Elle était représentée sous la forme d’une femme "tantôt assise et tantôt debout ayant un gouvernail avec une roue à côté d’elle pour marquer son inconstance"
Article "Fortune", Dictionnaire le Littré

Vauban
« Il est certain que la France manque presque partout de bois à bâtir ou que du moins il y est devenu fort rare et le devient tous les jours de plus en plus. Je connais des pays où il y avait plusieurs milliers d’arpents de futaie où à peine en trouverait-on dix présentement tout s’est vendu coupé et débité notamment ceux des particuliers qui se trouvent presque tous réduits en taillis »
Vauban, Traité de la culture des forêts, 1701
Pour comprendre l'intérêt majeur de Vauban pour la forêt, il faut avoir à l’esprit que le bois était la seule source d'énergie à son époque. Même le charbon de bois était encore majoritairement fabriqué à partir du bois, y compris pour la production des métaux

AMO
La tentative d'AMO de revitaliser le projet de l'Union européenne est une occasion d'utiliser l'architecture comme savoir. Ce projet traite de l'articulation des parties au sein d'un tout d'au moins deux manières : (1) D'une part, la réflexion d'AMO émet l'hypothèse d'une déclaration d'interdépendance, c'est-à-dire qu'elle propose de qualifier un type de lien à tisser entre les parties de l'Union européenne. (2) D'autre part, à travers son projet de mutualisation des infrastructures énergétiques durables à l'échelle de l'Union, elle avance l'hypothèse d'une Europe post-nationale, c'est-à-dire capable d'évoluer, à travers ce même processus de transition énergétique, vers une Europe des régions. Il s'agit donc de redéfinir ce qu'est une partie au sein de l'Union européenne dans son ensemble.

Viollet le Duc
Système rhombohedrique du Mont-Blanc par Viollet-le-Duc, Médiathèque de l'Architecture et du Patrimoine, Charenton-le-Pont
« Je devais en quelques mots à ceux qui voudront me lire expliquer comment et pourquoi un architecte a laissé de temps à autre l’architecture pour entrer dans un domaine qui semble n’être pas le sien. De fait notre globe n’est qu’un grand édifice dont toutes les parties ont une raison d’être sa surface affecte des formes commandées par des lois impérieuses et suivies d’après un ordre logique. »
Viollet le Duc, Le Massif du Mont-Blanc, 1876

Mutations
Diagramme montrant l'intensification des échanges économiques dans le monde, catalogue de l'exposition Mutations
« Je pense que le changement le plus important par rapport aux autres parties de ma jeunesse a été simplement l’introduction par Ronald Reagan et Margaret Thatcher de l’économie de marché ils ont en quelque sorte décidé que l’idéologie n’était pas la partie importante et le principal organisateur de la vie et de la civilisation mais que le marché devait être davantage reconnu et devait être l’arbitre final des décisions également dans la vie politique. Je pense que ces gouvernements relativement organisés qu’ils soient de gauche ou de droite croyant vraiment en ce pouvoir de l’État d’organiser et d’avoir une vision ainsi que de mettre en œuvre cette vision ont été rendus presque suspects par Reagan et Thatcher. Ils ont commencé à travailler au démantèlement du gouvernement en supprimant l’initiative de l’État.
Rem Koolhaas, AUS Lectures, Sharjah, 2015, 11 min